L’idée ne date pas d’hier”, reconnaît Saul Griffith, PDG de Makani Power, une entreprise située à Alameda, en Californie, et spécialisée dans la production d’électricité grâce à l’énergie éolienne de haute altitude. “L’histoire du cerf-volant est si ancienne… il n’y a presque rien de nouveau sous le soleil.”

Vous avez bien lu : le cerf-volant. Alors que les militants écologistes réclament l’installation de plus d’éoliennes, une nouvelle génération d’ingénieurs soucieux de l’environnement juge cette technique déjà dépassée. Pionnier dans l’utilisation des cerfs-volants comme générateurs d’énergie renouvelable, aujourd’hui consultant pour Makani Power, le Néo-Zélandais Peter Lynn a grandi avec eux. En 2003, il expose sa vision d’“aile libre” sur le groupe de discussion sci.energy. Il souligne qu’un cerf-volant libé­rerait la partie la plus productive des éoliennes – l’hélice – du poids de l’infrastructure que sont le mât, les nacelles et les cabines électriques. En d’autres termes, le cerf-volant serait un condensé de la meilleure partie de l’éolienne et se déploierait là où les vents sont les plus forts.

Des prototypes testés avec succès en italie et aux Pays-Bas

Les éoliennes se dressent en moyenne à 80 mètres de hauteur, là où le vent souffle à environ 4,6 mètres/seconde. A 800 mètres d’altitude, les vents atteignent 7,2 m/s. La régularité du vent augmente également avec l’altitude. Sachant que la quantité d’énergie éolienne dépend de la vitesse du vent élevée au cube, l’exploitation des courants de haute altitude serait une option intéressante puisqu’elle permettrait de multiplier par quatre le rendement des éoliennes classiques. Montez de 1 000 mètres et vous pourrez produire huit fois plus d’énergie. Tout ce qu’il vous faut, c’est un cerf-volant muni d’une très longue corde.
Sur le papier, cette source d’énergie propre et bon marché paraît suffisamment simple et prometteuse pour qu’en novembre 2007 Google investisse 10 millions de dollars dans le projet de Makani Power. La pratique est autrement plus compliquée. Griffith reste plus muet qu’une carpe sur les activités de sa filiale, tout en reconnaissant que les résultats ne dépassent pas encore les 10 kilowatts [kW] de production. A titre de comparaison, une grande éolienne peut générer 5 mégawatts [MW]. “La question est de savoir dans quelle mesure ces systèmes peuvent être étendus à grande échelle et si le prix final de l’électricité sera compétitif”, conclut Griffith.

En Europe aussi, les créateurs de cerfs-volants caressent ce rêve. Rattachés à l’Université technologique de Delft, aux Pays-Bas, Bas Lansdorp et ses collègues travaillent sur un système fonctionnant à partir de cerfs-volants, de câbles et de générateurs. Une première démonstration a eu lieu en 2007. Lors de précédents tests, les chercheurs ont fait voler un cerf-volant de 10 m2 capable de générer 3 kW d’électricité. Ce prototype était contrôlé par télécommande, mais l’équipe travaille à présent à la mise au point d’un logiciel, d’un équipement électronique et d’une station au sol pour piloter automatiquement le cerf-volant. Cette automatisation du processus pourrait, associée à l’utilisation d’une toile de 20 m2, permettre de produire 20 kW. Dans le même ordre d’idées, la société italienne Kite Gen a passé trois jours à l’aéroport de Milan, en septembre 2007, pour tester son prototype à 400 mètres d’altitude. Les résultats ont été particulièrement encou­rageants, à en croire le responsable du projet, Mario Milanese, de l’Université polytechnique de Turin. Leur cerf-volant de 10 m2 porté par un vent soufflant à 4 m/s a pu générer une moyenne de 2,5 kW. Le dispositif s’est comporté con­formément aux simulations. “Nous estimons que les principes techniques fondamentaux ont suffisamment fait leurs preuves, explique Milanese. Avec le financement nécessaire, nous espérons pouvoir produire un premier prototype industriel d’ici deux ou trois ans.” Le principe est le même que celui du yo-yo, sauf qu’il s’agit ici d’utiliser la force de traction d’une aile pour alimenter un générateur électrique. Selon la configuration imaginée par Kite Gen, le cerf-volant est retenu par deux points d’attache amarrés à deux treuils séparés et contrôlés par ordinateur. Une fois que le cerf-volant est lancé et stabilisé, les treuils commencent à se dévider. Le câble s’embobine au niveau des attaches, faisant ainsi tourner les générateurs. Une fois le câble presque entièrement déroulé, les treuils se remettent en action, en sens inverse cette fois, pour ramener le cerf-volant à sa position initiale. Selon les calculs de Milanese, l’alimentation des treuils ne consommera que 12 % de l’énergie produite. L’écart entre énergie produite et énergie disponible peut être optimisé en tirant avantage de certaines irrégularités des vents et en ajustant la position du cerf-volant afin de réduire sa force de traction. Le cerf-volant se comporte au final comme une éolienne. Les chercheurs de Delft ont imaginé un système similaire baptisé laddermill. Toutefois, au lieu d’un seul cerf-volant, l’idée serait d’en empiler plusieurs les uns au-dessus des autres. Chacun pourrait adapter sa position selon qu’il est en phase de montée ou de descente. Ce système permettrait ainsi de réduire la force de traction des ailes, leurs attaches pouvant se relâcher au moment de redescendre pour réduire la résistance au vent. Selon les chercheurs, un laddermill complet pourrait produire près de 50 MW, soit dix fois plus que les plus grandes éoliennes actuellement en service. Il reste toutefois de nombreux problèmes à régler. Comment maintenir et optimiser la force de traction des ailes pendant les baisses de vent ? Comment maintenir les cerfs-volants en altitude si le vent s’arrête brutalement de souffler et empêcher tout le dispositif de s’écraser au sol ? Autre défi technique : comment réduire la résistance à l’air pendant la phase de rétraction, lorsque le cerf-volant est ramené vers le sol ? “L’objectif n’est pas seulement de produire le plus d’électricité possible lorsque les cerfs-volants tirent. Nous cherchons également comment consommer le moins d’énergie possible pour les ramener”, explique Lansdorp. C’est pour cette raison que toutes les équipes scientifiques planchent à présent sur des algorithmes visant à optimiser le vol de leurs cerfs-volants. Les chercheurs de Delft travaillent en collaboration avec l’Université catholique de Louvain, en Belgique, pour trouver le meilleur des systèmes de contrôle. Jusqu’à présent, leurs résultats ne font que confirmer ce que bon nombre d’amateurs savent déjà : pour faire voler un cerf-volant le plus longtemps possible et augmenter sa force de traction, il faut lui faire décrire des huit. Une chose semble sûre, cependant : quel que soit l’algorithme utilisé, le dispositif de contrôle des ailes devra se situer à proximité de celles-ci, voire à leur niveau, c’est-à-dire en altitude. “Si vous tirez sur une corde de très loin, vous n’avez aucun contrôle sur l’aile”, explique Lansdorp.

Si les cerfs-volants tiennent toutes leurs promesses, il serait envisageable de les utiliser en remplacement de nombreuses infrastructures utilisées aujourd’hui, poursuit-il. Les éoliennes se trouvent idéalement en bord de mer, mais les terrains sont chers dans ces zones. Cela n’a par ailleurs aucun sens de les implanter sur des terres basses où les vents sont trop faibles. Les cerfs-volants, en revanche, peuvent être installés presque n’importe où puisque le niveau des terres n’a aucune influence sur la force des vents d’altitude.
Un cerf-volant, c’est bien, mais des dizaines c’est encore mieux. Kite Gen étudie à présent un ambitieux dispositif allant en ce sens. Son projet : une roue de 3 kilomètres de diamètre à laquelle seraient amarrées des dizaines d’ailes tournant autour de son axe. Selon Kite Gen, le dispositif pourrait comprendre 60 à 70 cerfs-volants, flottant à 800 mètres d’altitude, sur une surface totale de 500 m2. Amarrés à une roue géante, ils pourraient produire plusieurs centaines de mégawatts. Avec ce système, le prix de l’électricité reviendrait à 15 euros le kilowattheure, comparé à 100 euros avec les éoliennes et 60 euros avec les centrales à combustible fossile. Installé sur un ancien site nucléaire – déjà protégé par une interdiction de survol –, une roue de cerfs-volants pourrait produire autant d’énergie que la centrale nucléaire précédemment exploitée, déclare Mario Milanese.

Bas Lansdorp a une autre idée : utiliser des planeurs à ailes fixes. Les cerfs-volants ont en effet une durée de vie limitée en raison de la dégradation des voiles sous l’effet du rayonnement ultraviolet. Outre leur longévité, les planeurs seraient plus efficaces et produiraient plus d’énergie au mètre carré. “Bien qu’ils soient plus chers à l’achat, les planeurs pourraient générer un kilowattheure meilleur marché à long terme”, affirme le spécialiste, qui travaille à présent avec d’autres confrères sur le projet Eole, du nom du dieu des vents. Leur objectif : mettre au point un générateur de 100 kW la première année et un autre de 1 MW l’année suivante. Naturellement, ces projets restent théoriques tant que personne ne parvient réellement à produire de grandes quantités d’énergie. Ces visions sont encore à l’état de chimères, prévient Saul Griffith, et il ne faut pas en attendre trop pour l’instant. L’exploitation de l’énergie atmosphérique passe par des travaux longs et difficiles.