Avec le crystal, l’Allemagne a trouvé la drogue de l’emploi

Par Samuel Gontier

Publié le 01 décembre 2014 à 20h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h09

Le modèle allemand dont on nous rebat les oreilles présente des vertus insoupçonnées. Non seulement ce pays connaît un très faible taux de chômage mais la consommation d’héroïne et de cannabis y est en recul. Supplantée par le formidable essor d’une drogue de synthèse, la méthamphétamine, relaté samedi dernier dans Arte reportage. « Aux Etats-Unis, on la surnomme “crystal”, “ice” ou encore “tina”. En Thaïlande, “yaa baa”, littéralement “le médicament qui rend fou”, explique William Irigoyen… qui a pompé sa présentation dans Wikipedia. Vous l’inhalez, vous l’avalez, vous vous l’injectez ou vous la fumez et vous voilà euphorique et en proie à une forte stimulation mentale. » Et à un enviable taux de croissance. Vive l’Allemagne !

« La cocaïne augmente le taux de dopamine dans le cerveau de 300 %, avec le crystal, c’est 1 500 % », assure un médecin d’un centre de désintoxication situé près de Leipzig. Comme quoi, la qualité allemande, ce n’est pas une légende. « On se sent immédiatement très bien, poursuit le toubib. Tout est intense mais on n’est pas du tout défoncé. On arrive à gérer son quotidien, les premiers mois ça passe inaperçu, on n’a plus de soucis, on n’a plus peur. » On est prêt à tout affronter. Même la sinistre grisaille d’un morne lundi d’hiver. J’en veux.

Les consommateurs de crystal ne sont pas des marginaux, précise le médecin, « ils sont allés à l’école, ont travaillé… ils ont juste essayé de s’en sortir dans la vie ». « J’avais deux jobs, dix-huit heures d’affilée, à peine le temps de dormir, et le lendemain, rebelote, témoigne une jeune femme. Quand on consomme du crystal, fini les douleurs, on est plus vif, plus attentif… » « La plupart de mes collègues carburent au crystal, assure un jeune homme, c’est super répandu dans l’intérim. »

Une saine habitude qui permet à ces valeureux travailleurs de ne pas sombrer dans l’assistanat, apprécie l’enquêtrice d’Arte, Andrea Fies : « Faire toujours plus en toujours moins de temps : le crystal donne ce que la société exige, c’est la drogue qui colle parfaitement à l’air du temps. » Elle constitue le complément indispensable aux « réformes structurelles » menées à l’époque du chancelier Schröder, les fameuses « lois Hartz » qui ont flexibilisé le marché du travail – et qu’il est urgent d’importer en France pour restaurer notre compétitivité.

« Tout le monde attend de toi que tu sois performant mais personne ne se demande comment tu vas y arriver, rapporte un accro au crystal. T’as pas le choix, tu joues le jeu ou tu finis au chômage. » Avec les feignants, comme en France, où nous en sommes encore aux emplois aidés, au « traitement social » du chômage. Tandis que l’Allemagne, elle, assure son avenir en privilégiant le traitement chimique du chômage. Qu’attend François Rebsamen pour prescrire du crystal à tous les inscrits à Pôle emploi ?

Le crystal jouit d’un autre avantage inédit : il est féministe ! « Jusque-là, aucune drogue n’était autant consommée par les femmes, rapporte Manuela Dewitz, psychiatre dans un centre de désintoxication de Berlin où des mères sont accueillies avec leurs enfants. Pour toutes les autres substances, les consommateurs masculins sont largement majoritaires. Le crystal est la première dont la consommation est paritaire. » Fabuleux ! Enfin une drogue qui contribue à l’égalité hommes-femmes ! Ces dernières, sommées par la norme sociale de réussir sur tous les fronts (professionnel, sentimental, familial…), se révèlent très friandes de la méthamphétamine, comme en témoignent Bérit et Julia, deux mères qui, pour élever seules leurs enfants, ont cumulé les petits boulots grâce au crystal.

Dernier atout du crystal, et pas des moindres, son caractère démocratique. Il est vendu très peu cher et se trouve de plus en plus facilement à travers tout le pays. Sa diffusion fut d’abord circonscrite aux régions frontalières de la République tchèque, où la méthamphétamine était traditionnellement « cuisinée » pendant la Guerre froide, quand les drogues occidentales manquaient de l’autre côté du Rideau de fer. Mais, preuve de la capacité de l’Allemagne à s’insérer dans la mondialisation, la production s’est envolée sous l’impulsion de la mafia vietnamienne (pour atteindre 6 à 10 tonnes par an), permettant une fabuleuse progression de la consommation – devenue « un fait de société », soutient Andrea Fies.

« Un sérieux problème de santé publique », regrette pour sa part William Irigoyen. Mais la santé publique (de quelques drogués) ne doit pas passer avant la santé économique (de tout un pays). Les psychoses aigües provoquées par le crystal ne pèsent pas lourd face à la profonde sinistrose engendrée par les normes sociales extrêmement coercitives contre lesquelles les entrepreneurs du Medef manifestent courageusement ce lundi.

Ma vie au poste, le blog de Samuel Gontier

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus