Le miracle économique du président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a fait pschitt [allusion à la résistance légendaire du régime biélorusse au capitalisme, le président faisant toujours valoir son système quasi étatique, qui a permis, bon an mal an, de maintenir des retraites et des salaires minimaux à peu près décents]. Chez notre voisin, les habitants ne croient plus en rien, surtout pas en l’avenir du zaïtchik [petit lapin, surnom de la monnaie biélorusse provenant de l’illustration sur les billets de banque]. Ils s’efforcent donc d’échanger leur monnaie, qui se déprécie de jour en jour, contre n’importe quel bien. Mais ces biens, eux aussi, se raréfient à vue d’œil. Aussitôt, des files interminables se sont formées près des distributeurs où les Biélorusses se dépêchaient de retirer des billets.

Face à l’afflux de clients, les convoyeurs de fonds n’arrivaient même pas à alimenter les distributeurs à temps. Personne n’avait prévu que la crise des devises provoquerait une pénurie de roubles. Dans le même temps, les queues s’allongent déjà dans les magasins. Depuis que la valeur du dollar et de l’euro a plus que doublé au marché noir, les gens se sont mis à dépenser leurs roubles sans compter. Le dimanche à midi, dans le grand centre commercial national de Minsk, la capitale, il restait tout juste quatre réfrigérateurs made in Belarus alors que plus du quart de cet immense magasin est réservé à l’usine locale Atlant. Or les derniers appareils exposés étaient déjà vendus. “Mais où sont les autres réfrigérateurs ?” ai-je demandé à une vendeuse. “Il n’y en a plus aucun ! Tous vendus”, m’a rétorqué la femme. Pourquoi les Biélorusses ont-ils soudain un besoin si frénétique de réfrigérateurs ? Il faut chercher la réponse à côté, au magasin d’alimentation. Durant la semaine, tous les produits de longue conservation ont été raflés, le rayon sel est totalement vide : le samedi, les clients achetaient les paquets par cinq. “Je ne sais pas pourquoi les gens ont autant besoin de sel. Le vinaigre, je n’ai même pas le temps de le poser sur les étagères que, déjà, il disparaît. Peut-être comptent-ils faire de nombreuses conserves cet été ? Ou bien ont-ils peur que tout augmente ?” Le vendeur essaie de deviner les raisons de cette razzia. Sur les étagères, plus de dentifrice ni de papier toilette, de pâtes, de sucreries locales. Leur prix n’a pourtant pas augmenté, contrairement à celui de la tablette de chocolat d’importation, qui a doublé. A la caisse, un homme amuse les vendeurs en leur demandant de lui vendre des cigarettes pour 3 millions de roubles, soit plus de 600 paquets. “Vous pensez que les cigarettes ne vont pas augmenter ? La crise, c’est la crise et je ne vais certainement pas m’arrêter de fumer pour ça. Il vaut d’ailleurs mieux que je dépense tous mes roubles en cigarettes”, explique l’homme. Derrière moi, dans la file, une femme a acheté sept paires de collants épais alors que la température avoisine les 30 °C.

La descente infernale du zaïtchik a touché de plein fouet les entreprises lituaniennes exportatrices de produits alimentaires vers la Biélorussie. Les hommes d’affaires comptent leurs pertes : les produits s’éternisent dans les rayons et les distributeurs ne peuvent pas régler en dollars. Le groupe Viciunai exporte des sticks de crabe et du poisson pané en Biélorussie depuis quinze ans. Mais, ces derniers jours, les ventes se sont mises à dégringoler : dans les magasins, ces produits coûtent désormais 70 % à 80 % plus cher. “Nos voisins arrivent encore à acheter nos produits, mais l’évolution de la situation est incertaine”, commente Visvaldas Matijosaitis, directeur du groupe.

Malgré la crise, les Biélorusses continuent de boire de la bière, bien que son prix ait augmenté d’un cinquième. “La hausse du prix de la bière correspond à celle de la hausse des prix des denrées alimentaires”, explique Audrius Miksys, directeur de la brasserie Lidskoje Pivo. Auparavant, selon le directeur, les commandes pouvaient être réglées à trente jours. Désormais, il faut payer tout de suite. “Cela a provoqué un véritable chaos, mais, comme la demande est forte, nous nous en sortons”, positive Audrius Miksys.