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Origines du Covid-19 et accident de laboratoire en Chine : le nouvel appel de scientifiques à l'OMS

L'institut de virologie de Wuhan a-t-il été le théâtre d'un accident de laboratoire à l'origine de la pandémie de Covid-19 ? C'est la question relancée par la lettre du 30 avril adressée par un groupe de scientifiques internationaux à l'OMS. (Source : Sky News)
L'institut de virologie de Wuhan a-t-il été le théâtre d'un accident de laboratoire à l'origine de la pandémie de Covid-19 ? C'est la question relancée par la lettre du 30 avril adressée par un groupe de scientifiques internationaux à l'OMS. (Source : Sky News)
Le 30 avril, une trentaine de scientifiques internationaux de renom, dont des Français, ont rendu public une lettre ouverte adressée au directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Ils lui demandent de poursuivre les recherches sur l’origine du Covid-19 et d’inventorier tout particulièrement la thèse d’un accident de laboratoire.
Ces scientifiques rappellent une déclaration de Tedros Adhanom le 30 mars dernier : « Je ne pense pas que l’évaluation [d’un éventuel incident de laboratoire par l’équipe conjointe] ait été suffisamment approfondie. D’autres données et études seront nécessaires pour parvenir à des conclusions plus solides […] potentiellement avec des missions supplémentaires impliquant des experts spécialisés, que je suis prêt à déployer. Pour l’OMS, toutes les hypothèses restent sur la table. […] Nous n’avons pas encore trouvé la source du virus, et nous devons continuer à suivre la science et ne négliger aucune piste au fur et à mesure de l’enquête. […] Il est clair que nous avons besoin de plus de recherches dans toute une série de domaines, ce qui impliquera de nouvelles visites sur le terrain. »
Les signataires de la lettre entendent justement prendre au mot le patron de l’OMS et lui rappeler ses promesses. Quelles sont ces pistes à ce jour ? Il n’y en en réalité qu’une seule de privilégiée. « En avril 2012, après voir nettoyé du guano de chauve-souris dans une mine abandonnée à Mojiang (Yunnan), six hommes ont contracté une pneumonie sévère avec des symptômes semblables à ceux de la Covid-19. Tous ont été envoyés à l’hôpital de Kunming, où trois sont finalement décédés, expliquent les scientifiques dans leur lettre ouverte. Des échantillons non spécifiés de ces patients ont été envoyés au Wuhan Institute of Virology, ainsi qu’à d’autres laboratoires en 2012. À ce jour, tous les coronavirus les plus proches du Sars-Cov-2 proviennent de cette mine de Mojiang. Certains scientifiques qui avaient effectué des prélèvements dans la mine ont vu leurs échantillons confisqués. » Aujourd’hui, l’accès à cette mine est impossible. L’entrée est surveillée par des caméras tandis que les voies d’accès sont barrées.
C’est le deuxième appel de scientifiques en un mois pour faire toute la lumière sur les origines du Covid-19 en Chine. Le 4 mars dernier, un groupe de 26 scientifiques internationaux dénonçaient le manque d’accès offert aux enquêteurs de l’OMS à Wuhan au début de l’année et préconisaient de ne pas écarter la piste d’une fuite accidentelle.
Le premier État à avoir publiquement demandé dès janvier 2020 l’ouverture d’une enquête internationale sur l’origine du Covid-19 a été l’Australie. Furieux devant cet acte d’insoumission de la part d’un pays de 25,6 millions d’habitants face aux 1,4 milliard de Chinois, Pékin a instantanément enclenché une longue série de représailles commerciales et de menaces. Décision qui avait été courageuse de la part de l’Australie pour qui la Chine absorbe la quasi-totalité de ses exportations.
Mais dans le sillage de l’exemple australien, d’autres pays en ont fait autant. Dont tout particulièrement et sans grande surprise, les États-Unis. L’administration Biden a plusieurs fois exigé de la Chine qu’elle accepte le principe de missions à Wuhan pour tenter de faire toute la lumière. Peine perdue. Ces pays veulent savoir en particulier s’il y a eu ou non un accident de laboratoire.
Les scientifiques français signataires de la lettre ouverte sont au nombre de sept. Il s’agit du zoologiste Henri Cap (Toulouse), du virologue Jean-Michel Claverie (université Aix-Marseille), du sociologue des sciences Fabien Colombo (Université Bordeaux Montaigne), de la généticienne Virginie Courtier (Institut Jacques Monod/CNRS), du virologue Étienne Decroly (CNRS) et des ingénieurs Rodolphe de Maistre et Francisco A. de Ribera.

Arsenal biologique

L’affaire est plus grave qu’il n’y paraît. Souvenons-nous : dans les années 2000, la coopération franco-chinoise à Wuhan s’étoffe dans le domaine médical. En 2003, le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, frappe la Chine. Le pays a besoin d’aide. Le président Jiang Zemin, dont le mandat s’achève, est un ami du Docteur Chen Zhu. Ce Shanghaïen francophile a été formé à l’hôpital Saint-Louis, dans les services d’un proche de Jacques Chirac, le professeur Laurent Degos. Lorsque Hu Jintao succède à Jiang Zemin, Jean-Pierre Raffarin va rencontrer le médecin. Puis, en octobre 2004, lors d’un voyage à Pékin, Jacques Chirac scelle une alliance avec son homologue chinois. Les deux pays décident de s’associer pour lutter contre les maladies infectieuses émergentes. Ce partenariat semble d’autant plus nécessaire qu’un autre virus, celui de la grippe aviaire, le H5N1, vient de frapper la Chine.
De là va naître l’idée de construire à Wuhan, en collaboration avec la France, un laboratoire de type P4. Autrement dit, de très haute sécurité biologique pour l’étude de virus pathogènes inconnus contre lesquels il n’existe pas de vaccin.
Le 23 février 2017, Bernard Cazeneuve, Premier ministre, préside à l’Hôtel Matignon la cérémonie d’accréditation du laboratoire P4 de Wuhan. « La France est fière et heureuse d’avoir contribué à la construction du premier laboratoire de haute sécurité biologique P4 en Chine, déclare le chef du gouvernement de François Hollande. Conçu par des experts français, puis mis en chantier à Wuhan en 2011, cet outil de pointe constitue un élément central de la réalisation de l’accord intergouvernemental de 2004 sur la coopération franco-chinoise en matière de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses émergentes. » La France doit-elle être encore fière aujourd’hui ?
Lors de la signature de l’accord, des experts français en guerres bactériologiques se montrent réticents. Nous sommes dans l’après-11-septembre. Le SGDSN (Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale) redoute qu’un P4 puisse se transformer en arsenal biologique.
À cela s’ajoute un autre grief de la part de la France. La Chine refuse de lui préciser ce que sont devenus les laboratoires mobiles de biologie P3 qui avaient été financés par le gouvernement Raffarin après l’épidémie de SRAS. « Les Français ont été un peu refroidis par le manque de transparence des Chinois, explique Antoine Izambard, auteur du livre Les liaisons dangereuses. Leurs explications sont restées opaques sur l’utilisation qu’ils pouvaient faire de ces P3. Certains dans l’administration française pensaient donc que la Chine ferait sûrement un usage similaire du P4. Cela suscitait énormément de craintes. »
La coopération sino-française s’arrête car les scientifiques français s’aperçoivent qu’ils n’ont pas accès aux travaux de leurs collègue chinois. Finalement, c’est l’Armée populaire de libération qui prend les commandes des recherches menées dans le laboratoire de Wuhan.
À ce jour, la pandémie a tué plus de 3,19 millions de personnes dans le monde. Elle demeure hors de contrôle en Inde, au Brésil et dans plusieurs autres pays. Le monde saura-t-il un jour ce qui s’est passé dans le P4 de Wuhan ? Rien n’est moins sûr. Mais les pressions internationales sur la Chine ne vont pas manquer de s’accentuer.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).