[L'instant tech] Pourquoi la start-up Sakowin croit au plasma pour la production d’hydrogène décarboné à partir de gaz fossile
La jeune pousse Sakowin veut industrialiser la production d’hydrogène décarboné à partir de... gaz fossile. Une stratégie intrigante, pour laquelle elle mise sur l'utilisation de plasma froid, qui décompose directement le méthane en dihydrogène et en carbone solide. Un concept qui doit encore prouver ses performances, mais dont les promesses intéressent et motivent les expérimentations. La jeune pousse est en cours de levée de fonds.
Faire de l’hydrogène bas carbone… sans se passer des gaz fossiles. A l'heure ou l'électrolyse pour l'hydrogène vert domine les discours et les financements, c'est l'objectif pour le moins déroutant de la jeune start-up Sakowin, créée en 2017 à Fréjus et dont les laboratoires sont basés à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Son idée ? Utiliser du plasma basse température pour transformer directement le gaz naturel en hydrogène, sans émettre de gaz réchauffant l’atmosphère. La viabilité technique et économique du créneau doit encore être démontrée, mais alors que 95% de l’hydrogène produit dans le monde est encore issu de sources fossiles (en majorité par vaporeformage de gaz naturel), le créneau - qui se veut plus simple à mettre en place que l'électrolyse et promet de ne pas rompre avec les infrastructures gazières déjà en place - pourrait s’avérer porteur.
Réacteurs compacts et modulaires
“Pour produire de l’hydrogène sans émettre de CO2, à court terme et à un coût compétitif, notre piste est la plus pertinente”, argue le fondateur de la start-up, Gérard Gatt. Après s’être un temps penchée, sans succès, sur une technologie d’électrolyse, Sakowin a pris le tournant du plasma en 2019. Avec en tête une logique simple : pouvoir se brancher sur les infrastructures d’extraction et de transport de gaz existantes, pour produire l’hydrogène là où il sera nécessaire.
Alors que l’hydrogène est aujourd’hui issu à 95% de sources fossiles – et donc émetteur de CO2 et néfaste pour le climat – l’électrolyse de l’eau (qui décompose la molécule d’eau en hydrogène et oxygène par l’imposition d’un courant électrique) est aujourd’hui le principal procédé considéré pour la production d’hydrogène vert. Les technologies d’électrolyse sont nombreuses, mais “elles ne sont pas assez rapides pour atteindre un coût compétitif et une massification industrielle d’ici 2030, d’autant que l’utilisation d’énergies renouvelables pose aussi des difficultés de pression foncière”, considère Gérard Gatt. Les réacteurs de Sakowin, souhaités “compacts et modulaires”, pourraient permettre de produire de l’hydrogène bas carbone, tout en dépensant “6 fois moins d'énergie que l'électrolyse de l'eau”, estime l’entrepreneur.
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Un créneau qui est aussi celui de l'hydrogène "bleu", avec captage et stockage de carbone, sur lequel se positionne par exemple Air Liquide. Mais alors que ces derniers supposent de lourdes installations de captage et stockage du dioxyde de carbone capté sous forme gazeuse, le plasma simplifierait la recette. Assez pour atteindre des prix "inférieurs à 2,5 euros le kilo sans difficulté", laisse entendre Gérard Gatt.
Plasma micro-ondes
Arguant du secret industriel, Gérard Gatt se refuse à divulguer les détails de la technologie employée. De son prototype déjà installé en laboratoire, nous saurons seulement qu’il mobilise un plasma dit basse température (autour de 1000°C) impulsé par micro-ondes pour décomposer le méthane sans combustion. Donc produire directement du dihydrogène d’un côté, et du carbone solide (ou noir de carbone) de l’autre. Un matériau facile à récolter, et qui ne pose pas de problème pour le climat.
Moins énergivore que l’électrolyse, l’utilisation de plasma pour produire de l’hydrogène et du carbone solide à partir de méthane n’est pas nouvelle. C’est notamment le créneau de l’entreprise américaine Monolith Materials, qui a annoncé en 2020 débuter la construction de sa première usine à l'échelle industrielle, au Nebraska. Pour cela, cette dernière a travaillé avec le Centre procédés, énergies renouvelables et systèmes énergétiques (Persée) de l’école Mines-Paris Tech pour mettre au point un procédé de pyrolyse du méthane via un plasma à haute température, rappelle le chercheur Laurent Fulcheri dans un article de la revue Responsabilité & Environnement des annales de l'école des Mines, paru en 2020. Le scientifique, qui a mené les travaux sur le sujet, met en avant la faible consommation d’électricité (10 à 20 kWh par kilo de dihydrogène) au regard de l’électrolyse de l’eau (60 à 80 kWh) de cette technologie d'hydrogène "turquoise", qu'il présente comme une "troisième voie" pour la production d'hydrogène.
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A Hallam (Etats-Unis), Monolith Materials dispose déjà d'une usine à l'échelle commerciale pour tester sa technologie de pyrolyse à plasma haute température (crédit : Monolith Materials)
Mais alors que ce procédé de pyrolyse à haute température cherche d’abord à valoriser le noir de carbone (un matériau utilisé notamment dans l'industrie des pneus, pour ses propriétés mécaniques et thermiques), Sakowin se concentre sur l'hydrogène. “Notre processus permet d’obtenir un hydrogène compétitif sans avoir à valoriser le carbone. En visant le marché de l’hydrogène, qui explose, nous pouvons minimiser l’énergie nécessaire à sa production”, explique Gérard Gatt qui prévoit un coût inférieur à 2,50 euros du kilogramme d’hydrogène.
Course à l'hydrogène turquoise
Reste que Sakowin doit encore prouver sa technologie à échelle industrielle et la viabilité de son modèle. Contactée par l'Usine Nouvelle, l'Ifpen, pourtant en pointe sur l'hydrogène en France, a préféré ne pas donner suite, indiquant être encore à l'étape de la bibliographie. Comme le note Laurent Fulcheri dans son article, la start up canadienne Atlantic Hydrogen s’était déjà engouffrée sur le créneau de la production de l’hydrogène via du plasma non thermique. Avant de faire faillite en 2015, “victime notamment de problèmes technologiques et d’une trop faible valorisation des carbones produits pour pouvoir s’assurer un modèle économique viable”.
Partie plus tard, Sakowin pourra compter sur l’engouement actuel pour l’hydrogène, veut croire Gérard Gatt. La start-up, qui emploie 8 personnes et est en cours de levée de fonds, travaille au développement d’un démonstrateur industriel. Elle prévoit ses débuts commerciaux d’ici à 2024 ou 2025.
Une course dans laquelle il faudra aussi s’imposer face aux nombreux acteurs de l’hydrogène turquoise. Au-delà des technologies alternatives (pyrolyse à plasma haute température, conversion catalytique, utilisation de métal fondu…), plusieurs acteurs se positionnent sur le même créneau que Sakowin. Parmi eux, le géant russe Gazprom, qui a marqué son intérêt pour le plasma basse température, ou encore l’autre jeune pousse française Spark Cleantech, hébergée à la SATT Paris-Saclay, dont les travaux sur les plasmas froid pour la production d’hydrogène à partir de gaz héritent des recherches du CNRS et de Centrale Supélec.
Dernier écueil à prévoir : avec la montée en puissance de l'hydrogène, il n'est pas certain que la production de gaz fossiles et de biogaz pourront répondre à la demande croissante. Ni que le bilan environnemental de l'extraction, marqué par les fuites et des infrastructures lourdes, suffise à faire de la pyrolyse du méthane une alternative crédible du point de vue du climat.
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