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La piste de six nouveaux EPR : « Il est troublant que la feuille de route envoyée au PDG d’EDF n’étudie qu’un seul scénario »

Pourquoi choisir cette solution technique alors que le site de Flamanville n’est toujours pas achevé ? Quelle serait la production de nucléaire dans le mix énergétique français ? Nabil Wakim, journaliste de la rubrique Energie, a répondu à vos questions.

Le Monde

Publié le 15 octobre 2019 à 13h38, modifié le 15 octobre 2019 à 13h40

Temps de Lecture 6 min.

Dans une lettre envoyée au président d’Electricité de France (EDF), le 12 septembre, que Le Monde a pu consulter, la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, et son collègue de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, donnent une feuille de route précise à Jean-Bernard Lévy pour la construction de six réacteurs EPR durant les quinze prochaines années.

Officiellement, pourtant, rien n’est arrêté : la France n’a pas décidé de construire – ou non – de nouveaux réacteurs EPR, et le débat est toujours ouvert. Emmanuel Macron a simplement demandé à EDF de présenter, à la mi-2021, un dossier complet, pour pouvoir prendre une décision sur ce sujet épineux. Les opposants au nucléaire dénoncent le caractère non démocratique de ce courrier, qui laisse entendre que les décisions sont déjà prises, et soulèvent la question essentielle du financement de ces nouveaux réacteurs.

Nabil Wakim, journaliste de la rubrique Energie au Monde a répondu aux questions des internautes.

Stan : Sait-on pourquoi le nombre de six réacteurs EPR a été choisi ?

Nabil Wakim : Il est probable que le gouvernement travaille sur cette option parce que c’est celle que défend la filière nucléaire, avec l’argument que pour faire baisser les coûts, il vaut mieux lancer un programme global, plutôt qu’un seul réacteur. Cela permettrait de mettre en musique toute la chaîne de sous-traitance, de mobiliser les industriels. Mais c’est en même temps un pari immense : comment envisager six EPR construits en quinze ans, alors que le premier en France n’est toujours pas opérationnel ?

Cd433 : comment peut-on envisager le déploiement d’une solution technique qui engrange les retards et les surcoûts à Flamanville et en Finlande ?

Na. W. : Le chantier de Flamanville (Manche) est un fiasco sans pareil pour EDF : démarré en 2007, l’EPR ne sera pas connecté au réseau avant 2023 et coûtera plus de 12,4 milliards d’euros. Mais la filière nucléaire fait valoir qu’il s’agit d’une tête de série et que les coûts vont baisser au fur et à mesure. Et souligne que deux EPR sont déjà en fonctionnement en Chine, à Taïshan. Mais il est vrai que tous les chantiers en cours ou terminés (France, Royaume-Uni, Finlande, Chine) ont tous connu des délais et des surcoûts importants.

Edouard : quelle est la différence entre un EPR et une centrale nucléaire ?

Na. W. : Un EPR est un réacteur nucléaire de troisième génération. Il fonctionne sur le même principe que les réacteurs précédents, actuellement en fonctionnement en France, mais il est plus puissant et comporte des dispositifs de sûreté plus importants.

Dandrieu : sans vouloir méconnaître des intentions cachées du gouvernement, n’est-il pas normal dans un processus de décision, que l’on bâtisse un scénario (les 3 paires de doubles réacteurs), que l’on pousse jusqu’au bout pour voir sa viabilité. A contrario, prendre une décision sans avoir évalué un scénario, serait-ce professionnel ?

Na. W. : Vous avez raison : il est normal de travailler à des scénarios. Mais il est troublant de constater que la feuille de route envoyée au PDG d’EDF n’étudie qu’un seul scénario. Or, le président de la République a précisé qu’à la mi-2021 la France devrait décider si elle construit — ou non — d’autres réacteurs. L’option de ne pas en construire impliquerait de changer la trajectoire de développement des énergies renouvelables, de réduire la consommation d’électricité, etc. Autrement dit : une feuille de route serait également nécessaire pour étudier cette option.

apH : comment expliquer que le gouvernement n’assume pas et prenne « en catimini » une décision stratégique somme toute logique ?

Na. W. : La lettre du gouvernement que nous publions n’est pas encore une décision, c’est une feuille de route pour aboutir à une décision à la mi-2021. Mais il est vrai que cette lettre est très précise et entre en contradiction avec les déclarations publiques des ministres ou d’Emmanuel Macron. Peut-être craignent-ils d’ouvrir un nouveau front alors que l’exécutif n’en manque pas, et notamment sur les sujets environnementaux ? Par ailleurs, la majorité LRM à l’Assemblée nationale n’est pas unie sur le sujet.

Lomé : si ces nouveaux EPR sont bien mis en construction, garderait-on le même ratio de nucléaire dans la production d’électricité ou bien le nucléaire augmenterait-il ? En clair, à combien de fermetures de centrales existantes cela correspondrait-il ? Et sait-on quelles centrales pourraient être touchées ?

Na. W. : Dans la loi relative à l’énergie et au climat, votée en septembre, la France a porté à 2035 l’objectif d’arriver à 50 % de nucléaire et 50 % de renouvelables dans la production d’électricité. Cela doit conduire à fermer 14 réacteurs nucléaires d’ici là. Mais ensuite, les réacteurs actuels, qui sont âgés et ont été construits sur une période de dix ans, risquent de devoir fermer rapidement. Les nouveaux EPR viendraient donc après cette période compléter le mix français et le maintenir à 50 %. Mais (et c’est un gros mais) cela dépend de très nombreux paramètres : la consommation d’électricité à ce moment-là, le développement des énergies renouvelables, la prolongation ou non des réacteurs anciens, etc.

Fabrice : les centrales actuelles vont devoir être fermées un jour et remplacées par quelque chose. Quelles solutions alternatives existent dans le cas où ces EPR ne seraient pas construits ? Pour produire une énergie équivalente, ça doit représenter pas mal d’éoliennes et de panneaux solaires. Y a-t-il des chiffres là-dessus ?

Na. W. : C’est exactement la bonne question qui se pose à celles et ceux qui souhaitent ne pas renouveler le parc nucléaire. Plusieurs scénarios existent (l’Ademe, NegaWatt, notamment en ont réalisé). Ils reposent d’abord sur une baisse importante de la consommation d’énergie et un développement des énergies renouvelables et des réseaux.

Il faut également noter que les évolutions technologiques dans le stockage d’électricité dans les trente prochaines années peuvent également changer la donne pour mieux intégrer la variabilité des énergies renouvelables.

Louis : connaît-on les sites sur lesquels EDF envisage de placer ces nouveaux EPR ?

Na. W. : Ces sites ne sont pas connus et la décision formelle de construire ces EPR n’est pas encore prise. Mais l’énergéticien prépare le terrain depuis plusieurs années, en rachetant des terrains autour de certains sites nucléaires. Une chose est sûre : si nouveaux réacteurs il y a, ils seront bâtis sur des sites existants (c’est d’ailleurs le cas de Flamanville). Certains élus locaux ont déjà réclamé la construction d’un EPR sur des sites dans leur région, comme Xavier Bertrand (à Gravelines, dans le Nord), par exemple.

Hubert : la construction et l’exploitation de ces centrales reviendront-elles à coup sûr à EDF ou des entreprises étrangères pourront-elles s’impliquer ?

Na. W. : Aujourd’hui en France, seule Electricité de France a le droit d’exploiter des centrales nucléaires. Aucun autre opérateur (même français) ne peut le faire. Le gouvernement a, par ailleurs, un plan de réorganisation d’EDF qui conduirait à nationaliser à 100 % les activités nucléaires. L’hypothèse que d’autres entreprises qu’EDF exploitent des réacteurs en France est aujourd’hui très improbable.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les pistes du gouvernement pour découper EDF

Paul : comment expliquer l’arrêt de programmes comme Astrid qui permettraient de plus ou moins fermer le cycle des déchets nucléaires ainsi que de s’assurer d’un approvisionnement en combustible sur une durée beaucoup plus longue alors que le gouvernement annonce vouloir construire six EPR qui ne solutionnent pas ces problèmes ?

Na. W. : Le gouvernement et le CEA ont décidé — sans rendre cette décision publique — d’interrompre la recherche sur Astrid, un réacteur de quatrième génération, en estimant que ce type de réacteur à neutrons rapides n’était pas nécessaire dans l’immédiat, compte tenu des fortes ressources en uranium.

Mais il est vrai que se concentrer sur les EPR sans réfléchir à la génération suivante laisse ouverte la question des déchets, qui ne sont aujourd’hui réutilisés que dans une proportion infime.

Thoreau : on parle beaucoup de la production (l’EPR, les énergies renouvelables) mais peu du réseau électrique. Quelles transformations du réseau sont nécessaires pour réduire la part du nucléaire. Sont-elles enclenchées et où en est-on ?

Na. W. : La transformation du réseau électrique est souvent l’un des points aveugles du débat sur la transition énergétique. Pourtant, la France est progressivement en train de passer d’un pays où il y avait une cinquantaine de gros sites de production, à un maillage avec des centaines de milliers de producteurs de petite taille. Sans compter l’arrivée très probable de millions de véhicules électriques, qui auront à la fois besoin du réseau pour se recharger mais pourront aussi servir de stockage. Le réseau de transport RTE a estimé que cette transformation pourrait coûter, pour le seul réseau de transport d’électricité, autour de 33 milliards d’euros sur quinze ans.

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