Y a-t-il un chef en cuisine ?
Les plats industriels, sous-vide et surgelés progressent sur les cartes. Les cuisiniers qui n’utilisent que du frais se font rares. Nos conseils pour distinguer le tout-prêt du fait maison.
Cornaqués par Alain Ducasse et Joël Robuchon, les mousquetaires de la gastronomie tapent du poing sur la table. A les entendre, il y a le feu dans la cuisine française. Le métier d'aubergiste, celui qui défend le « fait maison », est en péril.
En d'autres termes, y a-t-il toujours un chef en cuisine ? Un chef, certainement, un cuisinier, rien n'est moins sûr. Selon Alain Ducasse, plus de 75 % des restaurants serviraient des plats industriels congelés ou sous-vide à leurs clients.
Aucune étude sérieuse ne confirme ce constat inquiétant. Sur les 80 000 restaurants (qui servent à table), 60 000 proposent des spécialités étrangères et 20 000 servent de la cuisine française.
Hormis les 500 qui ont, au moins, une étoile Michelin, combien sont-ils à ne cuisiner que des produits frais ? Dans la profession, c'est la loi du silence.
« Ce n'est pas blanc et noir, corrige Jean-Luc Madec, membre de la Confédération des professionnels indépendants de l'hôtellerie. Mais c'est une tendance de fond. »
Ce restaurateur des Yvelines ne se fait pas que des amis en avouant que certains plats de sa carte sont fabriqués avec des matières premières industrielles.
Il n’y a aucune obligation de transparence sur ces pratiques et le consommateur est le dindon de cette farce.
Cela commence par l'usage des ovoproduits (blanc et jaune d'œufs pasteurisés) à la place des œufs frais, des sauces prêtes à l'usage, des légumes surgelés en dés, des desserts clé en main…
Il suffit d'arpenter les hypermarchés réservés aux professionnels, comme Métro ou Promocash, ou de consulter les catalogues des industriels agroalimentaires (Pomona, Transgourmet, Davigel, Brake) pour fabriquer une carte, des entrées aux desserts, sans avoir trop à cuisiner.
« Quotidiennement, je suis harcelé par les commerciaux de ces entreprises », témoigne un restaurateur de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine).
De l'autre côté des remparts de la Cité corsaire, sur le port, David Leray et son acolyte Thomas s'accrochent à leur éthique de restaurateurs. Au Yacht Club, tout est cuisiné avec du frais en provenance de producteurs locaux.
Dans les Yvelines, Jean-Luc Madec prend à son tour la calculette : « Une brunoise de légumes surgelée me coûte 2,50 euros le kilo. Si je la cuisine, pour 1 euro de matières premières fraîches, je dois ajouter 15 euros de main-d'œuvre.
Dans un menu à 18 euros, le calcul est vite fait. » Le secteur de la restauration serait-il frappé du même mal que l'industrie ?
Il y a ceux qui mettent la clé sous la porte (6 000 fermetures ou faillites en 2012) et ceux qui « délocalisent », tout ou partie, de leur métier à un prestataire extérieur.
« N'importe qui peut ouvrir un restaurant, sans diplôme ni compétences, déplore David Leray. Lors d'un stage de formation à l'hygiène, j'ai rencontré une femme qui en possédait deux et qui ne savait pas faire des frites maison ! »
Comme la boulangerie à une autre époque, l'enseigne « restaurant » est galvaudée. Voilà pourquoi le Collège culinaire de France lance un nouveau label « Restaurant de qualité » pour distinguer les chefs attachés au « fait maison » (lire ci-dessous).
De quoi redonner de l'appétit aux gastronomes.