Pourquoi n'y a-t-il plus d'insectes sur vos pare-brises ?

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Pourquoi n'y a-t-il plus d'insectes sur vos pare-brises ?

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Un insecte écrasé sur un pare-brise.
Un insecte écrasé sur un pare-brise.
© Getty - Martin Hospach

Les insectes sont en train de disparaître à une vitesse alarmante, selon plusieurs études. Avec 40% des espèces d'insectes sur le déclin, un effondrement catastrophique des écosystèmes est à redouter. L'Académie des sciences vient de publier un compte-rendu pour inciter à "freiner ce déclin".

C'est ce que les entomologistes ont appelé le "syndrome du pare-brise". Il y a quelques dizaines d'années, conduire une voiture quelques heures sur une route assurait de retrouver son pare-brise constellé d'insectes écrasés. En 2019, empruntez le même trajet sur le même laps de temps et la vitre sera quasi-immaculée. Il y a 20 ans, le "fléau" était si habituel que les pogs, rondelles de carton avec lesquelles les enfants jouaient dans les cours d'école, avaient consacré à ce sujet une série d'illustrations humoristiques. Aujourd'hui, le sujet ne prête plus vraiment à rire : selon une étude publiée par des chercheurs de l'université de Munich en 2019 portant sur 2.700 espèces d'insectes réparties sur 300 sites, on dénombre près d'un tiers d'insectes en moins entre 2008 et 2017, certaines espèces ayant tout simplement disparu.

Déjà, en février 2019, une étude australienne expliquait que les populations d'insectes diminuent huit fois plus rapidement que les autres populations animales, et prophétisait un terrible impact sur la biodiversité .

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Les pogs, rondelles en carton illustrées avec lesquelles jouaient les enfants dans les cours de récréation, avaient fait honneur aux insectes écrasés.
Les pogs, rondelles en carton illustrées avec lesquelles jouaient les enfants dans les cours de récréation, avaient fait honneur aux insectes écrasés.
- World POG Federation

Selon cette étude intitulée "Le déclin de l'entomofaune dans le monde" (Worldwide decline of the entomofauna), publiée dimanche 10 février dans la revue Biological Conservation, "la conclusion est claire : à moins que nous ne changions nos façons de produire nos aliments, les insectes auront pris le chemin de l’extinction en quelques décennies". En faisant la synthèse de 73 autres études au long cours publiées pendant les quarante dernières années, les chercheurs ont constaté que 40 % des espèces d'insectes seraient ainsi sur le déclin, avec pour conséquence la perspective d'un "effondrement catastrophique des écosystèmes naturels". 

L'Académie des sciences ne s'y est pas trompée : elle a publié, en décembre dernier, un compte-rendu incitant à mesurer toute l'ampleur du problème et à réagir en conséquence. Elle invite ainsi à une "réduction significative de l’usage des pesticides pour conduire à terme à leur remplacement intégral par d’autres méthodes de lutte", à la "limitation de la conversion des milieux, non seulement en préservant et en restaurant la complexité des habitats naturels mais aussi en restreignant le développement de nouveaux élevages ou de nouvelles cultures (par exemple certains sojas) qui contribuent à la conversion", ou encore à la "lutte contre le dérèglement climatique et contre les espèces exotiques envahissantes"...

Une seule et même cause

Car la principale raison de la disparition des insectes n'est autre que l'influence de l'homme. C'est notamment l'agriculture intensive qui est à l'origine de la disparition des habitats naturels des insectes, ce que vient de confirmer l'étude publiée en Allemagne, et ce loin devant les principales autres causes à savoir les polluants agro-chimiques, le changement climatique et l'émergence d'espèces invasives.

En novembre 2017, La Méthode scientifique rappelait ainsi qu'une étude allemande estimait que 80 % des insectes avaient disparu dans des zones protégées du pays. Une hécatombe invisible qu'expliquait François Lasserre, naturaliste et vice-président de l'Office Pour les Insectes et leur Environnement (OPIE) :

Les insectes ont un gros problème, c'est qu'ils sont trop diversifiés, donc extrêmement spécialisés. Pour avoir une diversité d'insectes, il faut avoir une diversité floristique et faunistique, puisque chacun s'est spécialisé. Il y a un nombre incalculable de papillons qui ne peuvent pas vivre sans la plante qui accueille leur chenille, on appelle ça des plantes hôtes. Si vous mettez des hectares et des hectares de colza, les insectes qui ne mangent pas de colza ne peuvent pas comme ça rebondir. Quelques insectes sont opportunistes et vont à droite à gauche, mais tous les autres, très spécialisés, à partir du moment où vous supprimez absolument toute la flore, tous les habitats, etc. et que vous ne mettez qu'une seule espèce de plante, évidemment vous n'aurez pas de diversité d'insectes.  

En janvier dernier, une étude avait ainsi quantifié la disparition des insectes dans la forêt d'El Yunque à Porto Rico, dans les Caraïbes : selon Brad Lister, qui avait effectué une première expédition 35 ans plus tôt, 80 % des insectes ont depuis disparu dans la canopée et 98 % au sol. 

L'impact de cette diminution de la biomasse des insectes (2,5 % par an depuis trente ans) a d'ores et déjà déclenché une réaction en chaîne et se fait ressentir sur d'autres espèces dont ils constituent la principale source de nourriture à l'image des reptiles, des amphibiens ou encore des oiseaux. En mars dernier, le CNRS concluait à la disparition d'un tiers des oiseaux des campagnes au cours des vingt dernières années, mettant en cause, entre autres, la disparition des insectes.

Ironie du sort, ces réactions en chaîne devraient impacter l'homme à terme, dont les cultures pollinisées assurent plus du tiers de l'alimentation mondiale. "La disparition des insectes va avoir un impact énorme sur la production des fruits et légumes que nous consommons, rappelait au Monde Francisco Sanchez-Bayo, l'auteur principal de l'étude. Nous trouverons toujours des moyens de nous nourrir, mais la diversité de notre alimentation va considérablement diminuer."

Dans ce qui semble être devenu une funeste antienne des recherches portant sur l'environnement, les auteurs de l'étude insistaient sur l'urgence de "restaurer les habitats, repenser les pratiques agricoles, avec en particulier un frein sérieux à l’usage de pesticides et leur substitution par des pratiques plus durables".