Tout est poison, rien n'est poison : c'est la dose qui fait le poison." Par cette phrase, Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim - mieux connu sous le nom de Paracelse - a fondé la toxicologie. Le médecin, astrologue et alchimiste suisse est mort en 1541, mais cette doxa issue de son intuition de médecin lui a largement survécu : elle est toujours utilisée, aujourd'hui, pour évaluer les risques liés aux substances chimiques de synthèse. Scientifiquement, elle est pourtant désormais caduque.
Que signifie-t-elle ? Sur son site Web, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) la traduit ainsi : "Plus la dose absorbée d'un produit chimique est élevée, plus l'effet est important, ainsi que la probabilité d'un effet indésirable." A petites doses, petits effets ; à fortes doses, effets importants. Le constat semble de bon sens mais, depuis plusieurs années, il est battu en brèche : dans certaines périodes du développement - en particulier la période périnatale ou l'adolescence -, l'exposition à de très faibles doses de certaines substances peut produire des effets plus importants qu'à des doses plus élevées... Les relations entre la dose et l'effet sont alors irrégulières : les chercheurs parlent de "courbes dose-réponse non monotones".
Les composés qui se jouent ainsi de notre intuition appartiennent à la catégorie des perturbateurs endocriniens - ces substances capables d'interférer avec le système hormonal, dont le bisphénol A (BPA) est le représentant le plus répandu. Pour nombre d'agences de sécurité sanitaire - comme l'EFSA, la Food and Drug Administration (FDA) américaine, etc. -, ces effets à faibles doses sont "controversés". Ils ne sont donc pas considérés dans l'évaluation des risques des molécules de synthèse.
Y a-t-il réellement controverse ? En 2012, une vaste revue de la littérature scientifique conduite par la biologiste Laura Vandenberg (Tufts University, à Boston) et publiée dans la revue Endocrine Reviews a pourtant identifié près de 800 études montrant de tels effets baroques. A l'heure actuelle, l'écrasante majorité des scientifiques qui ne croient pas à ces effets sont les experts d'agences de sécurité sanitaire.
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