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Energie

Ce que cache le démantèlement nucléaire

Sur les neuf réacteurs arrêtés en France, aucun n’a encore été déconstruit. Et l’estimation par EDF du coût de l’opération est sujette à caution.

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Centrale de Brennilis, dans le Finistère. Elle a fonctionné dix-huit ans avant d’être arrêtée, en 1985. Le démantèlement, commencé il y a six ans, devrait s’achever en 2032.

Centrale de Brennilis, dans le Finistère. Elle a fonctionné dix-huit ans avant d’être arrêtée, en 1985. Le démantèlement, commencé il y a six ans, devrait s’achever en 2032.

FT/SB/MS - AFP

« Personne ne sait aujourd’hui évaluer le coût du démantèlement-retraitement. » Cette saillie ne vient pas d’un militant écologiste, mais d’Emmanuel Macron. Le démantèlement des réacteurs et la gestion des déchets constituent en effet la grande inconnue de l’industrie nucléaire. On compte 450 réacteurs en activité dans le monde et 110 à l’arrêt. Seule une vingtaine d’unités ont été déconstruites, dont la moitié aux Etats-Unis. Aucune en France. Un paradoxe. Notre pays dispose du deuxième parc nucléaire de la planète. Mais il ne parvient pas à démanteler les neuf centrales de première génération aujourd’hui à l’arrêt. Pour autant, EDF ne panique pas. L’électricien assure qu’il les déconstruira plus tard. Quant aux coûts de l’opération, le nouveau chef de l’Etat peut être rassuré, EDF les a évalués : 26,6 milliards d’euros pour l’ensemble du parc français (58 réacteurs), 60,5 milliards si on intègre la gestion des déchets et le traitement des derniers combustibles.

Dix-sept réacteurs en sursis

« Démanteler un réacteur coûte entre 350 et 500 millions d’euros », affirme Sylvain Granger, directeur déconstruction à EDF. « Une blague, rétorque le physicien nucléaire Bernard Laponche, de l’association Global Chance. L’allemand E.on estime à plus d’1 milliard d’euros le coût de démantèlement d’un réacteur et les autres électriciens étrangers annoncent des chiffres du même ordre. » Sans compter qu’EDF n’a pas réellement intégré les changements liés à la loi de transition énergétique qui impose une diminution à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. L’électricien pourrait se voir contraint de fermer puis de démanteler dix-sept réacteurs. « EDF compte implicitement sur l’allongement de la durée d’exploitation (actuellement quarante ans), si possible jusqu’à soixante ans, du plus grand nombre possible de ses réacteurs pour augmenter progressivement le niveau de ses provisions et compenser les coûts », indique la députée PS Barbara Romagnan, auteure avec Julien Aubert (LR) d’un rapport parlementaire sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base.

Péché originel

Le démantèlement, dernier scandale du nucléaire ? Lorsque les premières centrales sont sorties de terre dans les années 1950, l’idée de les démonter un jour n’avait pas été anticipée par les ingénieurs d’EDF et du CEA. « On était alors en pleine euphorie, il fallait construire des réacteurs très vite et on se disait qu’avec les progrès de la technologie, on trouverait une solution plus tard », indique un expert du secteur. Mais comme le dit Barbara Romagnan, « rien ne s’est passé comme il aurait fallu ». Les neuf premiers réacteurs d’EDF - six unités UNGG (uranium naturel graphite gaz) et trois tranches issues de trois technologies différentes - sont maintenant à l’arrêt depuis parfois plusieurs décennies. La centrale expérimentale de Brennilis (technologie à eau lourde), en Bretagne, a fonctionné seulement dix-huit ans avant d’être arrêtée en 1985. Le démantèlement de ce petit réacteur de 70 mégawatts a débuté il y a six ans et devrait être achevé en 2032, soit quarante-sept ans après sa mise à l’arrêt. En 2006, la Cour des comptes avait évalué l’opération de Brennilis à 482 millions d’euros, vingt fois plus que l’estimation initiale.

Même confusion pour le site de Superphénix à Creys-Malville (Isère). Cette unité, qui fonctionne au sodium, a dû être arrêtée en 1996, après onze ans d’exploitation, car le sodium explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air. L’achèvement du chantier est prévu pour 2028, soit plus de trente ans après l’arrêt définitif. Mêmes galères pour les six installations uranium naturel graphite gaz. En 2016, l’électricien a effectué un virage sur l’aile en adoptant une autre technologie de démantèlement. Résultat, les centrales UNGG ne seront pas déconstruites avant « le XXIIe siècle », comme le dit avec ironie l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Et dire que, depuis 2006, EDF a laissé tomber la politique du démantèlement différé pour adopter celle du démantèlement sans attendre !

Manque de transparence

Le démantèlement sans attendre, EDF l’envisage pour ses réacteurs à eau pressurisée (REP) qui composent le parc des 58 tranches aujourd’hui en service. La standardisation des technologies serait susceptible de générer des économies d’échelle selon l’électricien, qui espère conquérir des marchés à l’étranger - il a déjà concouru à deux appels d’offres en Allemagne. « On veut avoir une position de référence sur le marché international », lance Sylvain Granger. Démonstration avec la centrale de Chooz A, dans les Ardennes. Lancé en 1967, ce REP de première génération de 300 mégawatts a été arrêté en 1991 et a obtenu son décret de démantèlement en 2007. Il devrait être totalement déconstruit en 2022. Soit quinze ans après les premiers coups de pioche. Comme Chooz A est un modèle réduit des réacteurs de 900 et 1 300 mégawatts aujourd’hui en service, EDF extrapole cette règle des quinze ans à l’ensemble du parc existant. Une analyse trop simpliste pour Martial Chateau, administrateur de l’association Sortir du nucléaire. « Evoquer d’éventuels effets de série dans le démantèlement n’a pas de sens. Chaque centrale a un historique différent. Certaines prendront plus de temps à être déconstruites. C’est le cas notamment de celle de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) qui a connu deux accidents graves en 1969 et 1980. » A l’époque, ces accidents avaient été occultés.

A l’image de l’ensemble de la filière nucléaire, la déconstruction ne brille pas par sa transparence. « Entre les trois exploitants (EDF, Areva et le CEA), celui sur lequel on a le moins d’éléments techniques pour porter un jugement sur la nature des opérations futures, sur leur faisabilité, sur leur crédibilité, y compris en termes de calendrier, c’est clairement EDF », constate Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN. Quant au coût du démantèlement, la députée Barbara Romagnan ne doute pas qu’il sera « supérieur aux provisions » réalisées par EDF (24,4 milliards d’euros). Un rapport européen montrait que Paris n’avait provisionné que 31 % des frais liés au démantèlement des centrales, contre 100 % pour la Grande-Bretagne, 94 % pour les Pays-Bas et 83 % pour l’Allemagne. EDF reste toutefois droit dans ses bottes. Un récent audit commandité par le ministère de l’Environnement a conforté « globalement » son estimation. L’électricien oublie juste de préciser que ce rapport a été financé par ses soins.

 

Fessenheim ? Au mieux en 2038

La centrale de Fessenheim pourrait fermer en 2019. Quelles seraient ensuite les étapes conduisant à son démantèlement ? EDF doit d’abord déposer un dossier ad hoc auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire. Pendant le temps d’instruction, l’électricien peut commencer à décharger le combustible, qui représente 99,9 % de la radioactivité, pour l’entreposer dans une piscine de désactivation. Une fois le dossier instruit, l’électricien obtient un décret d’autorisation de démantèlement. La procédure prend au minimum quatre ans. On est en 2023. Suit une phase de transition de quatre ou cinq ans pendant laquelle EDF et ses sous-traitants enlèvent les matériels conventionnels non radioactifs. Deuxième étape, les opérateurs, via des robots, s’attaquent au bâtiment des réacteurs, démontent et découpent le pressuriseur, les pompes, les générateurs à vapeur. La dernière étape consiste à démanteler la cuve qui contient les éléments les plus radioactifs. Une fois ces opérations réalisées, les structures de génie civil sont démolies. Le site peut théoriquement être réutilisé. Selon EDF, il faut quinze ans pour démanteler une centrale. Le « retour sur herbe » de Fessenheim pourrait donc se produire à partir de 2038.

SOURCE : EDF

Les Etats-Unis représentent la moitié des 20 centrales déconstruites dans le monde.

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